Monday, August 9, 2021

Au Bout de mes Lèvres - Malgré la Nuit


  

Au Bout de Mes Lèvres - Malgré la Nuit 

Parution : 26-04-2021

Provenance : Quebec City

Gabrielle - Bass, vocals

Olivier - Guitars, vocals

Gabriel - Drums, vocals, lyrics, production

Larry Records (USA & LE)

BLAST Records (Canada)

 

Mauvais Sang

I.

C'est si beau ta façon de revenir

Du passé je me penche sur toi

À l'hôpital une caravane et un berceau

De si beaux naufrages

 

Pour toi j'ai pris des milliers de trains de nuit, fixé aux rails d'une vie en feu.

À l'aube, un monde de ruelles enneigées, le givre de nos racines ankylosées.

 

C'est déchirant, j'ai pensé à toi :

« - Nous sommes des reliques délaissées.

- Il y a longtemps que je me suis perdu. »

 

Fais sonner l'horloge tandis qu'il y a encore un enfant en moi

[des minutes, des heures, des années]

Je n'en peux plus de cultiver l'insomnie

Vivre de nuit doit être un rêve

 

J'aimerais pouvoir m'enfuir pour l'éternité dans un autre corps,

mais je n'ai qu'un seul tombeau.

 

                À première écoute, le thème de la naissance est la première image à m'être venue à l'esprit. « À l'hôpital une caravane et un berceau » évoquant le moment après la naissance où la famille et les proches viennent voir le nouveau-né. Ensuite, les « milliers de trains de nuits, fixé aux rails d'une vie en feu », la culture de l'insomnie, ainsi que le désir de pouvoir vivre la nuit seraient un enfant qui ne fait pas ses nuits et quelqu'un faisant le sacrifice de sa vie (de son sommeil et de l'état qui résulte de sa carence) pour prendre soin de celui-ci.  Sous le poids de la responsabilité, le parent tourmenté par l'idée que sa vie serait toute autre si ça n'avait été de cette naissance, demandant à être sorti de cette situation, demandant à ce qu'on sonne « l'horloge tandis qu'il y a encore un enfant en [lui/elle] » ou la formulation du souhait de s' « enfuir pour l'éternité dans un autre corps ».

                Par contre, une description accompagne les deux chanson sur le Bandcamp : « Malgré la Nuit est en quelque sorte la boîte noire, la dernière mémoire - aveugle peut-être - de ces conjonctures nocturnes desquelles l'on ne revient jamais entièrement; je crois que certaines nuits sont en elles-mêmes toute une vie, une sorte de passage obligé, comme le sont les rêves. » Sous cette optique, les « milliers de trains de nuit, fixé aux rails d'une vie en feu » deviendraient donc des voyages sous forme de rêves plutôt qu'une routine nocturne infernale. Les matins décrits comme étant « un monde de ruelles enneigées » - le réveil, et le « givres de nos racines ankylosées » - la fatigue du voyage. Les rêves étant forcés sur nous, nous laissant comme des « reliques délaissées », perplexes. Le passage de l'état de rêve vers le concret du monde réel s'effectue sous la forme d'un choc. À son réveil, la victime prends conscience d'un monde froid et tente de réconcilier les plus récents événements malgré les natures incompatibles des univers opposés. L'horloge à faire sonner appuie aussi les notions de nuits et de rêves, de façon plus évidente. Par contre, la phrase semble en contradiction avec la direction générale, si l'on pense qu'un réveil tend plus à tirer quelqu'un d'un rêve que de l'y pousser. Ne plus vouloir cultiver l'insomnie, vouloir vivre de nuit (pas nécessairement éveillé), la possibilité de s'enfuir dans un autre corps, sont toutes des idées indiquant que le rêve est vu comme étant salutaire. Demander à se faire réveiller reviendrait à se priver d'un tel état.

                De plus, l'auteur s'adresse également à quelqu'un ou quelque chose, lorsque celui-ci dit : « je me penche sur toi », « Pour toi j'ai pris des milliers de trains de nuit » et « j'ai pensé à toi ». Ma première impression est que l'auteur s'adresse au Rêve, directement, puisqu'il partagerait les « racine ankylosées » avec celui-ci. Il serait donc question du vague souvenir d'un rêve. Si l'auteur s'adressait à un compagnon de voyage, cela sous-entendrait que quelqu'un rêve avec lui. La présence du Rêve comme destinataire de ces paroles est donc aussi supporté, sous cette forme.

                La teneur du propos de l'auteur jette sur le Rêve une connotation positive alors que ce dernier est accueilli à bras ouverts lorsqu'il est dit « C'est si beau ta façon de revenir ». Il semble que le moment soit attendu de pied ferme, malgré les cicatrices laissées à chaque réveil. « De si beaux naufrages », des racines ankylosées, un souvenir déchirant, des « reliques délaissées », ne plus vouloir cultiver l'insomnie et le désir de fuir sont autant d'images qui contribuent à une impression positive du thème. La phrase « vivre de nuit doit être un rêve » est possiblement la plus directe allant en ce sens, faisant référence directement au concept.

 

Endormir les Enfants

II.

L'arbre s'ouvre tout en haut, muet dans la tempête des

imperfections enneigées du matin. Rien à dire devant nos

cadavres et pourtant, au milieu de la nuit, l'envie de nous

transcender :

 

« - Voici le corps, notre cage-refuge.

- Mais nous ne sommes plus des enfants. »

 

Les racines existent comme inutiles alors que les feuilles se

suicident au creux des porcelaines cerclées d'étain. Rien à dire

devant l'enveloppe de la mort dont on a achevé la lettre. Je

t'écris en poème, mais je ne te lirai jamais assez :

 

« - Laisses-moi dans notre ventre noir.

- Brûles-moi et endors les enfants. »

[...]

Un balai maladroit passé sur la rencontre d'un soir, les fleurs

coupées sous le lit comme dernière inquiétude.

 

                Cette fois-ci, ce qui me saute aux yeux est l'opposition du physique au rêve. La croissance de l'arbre interrompue, ralentie, en hiver. Les corps immobiles, tels des cadavres, pendant qu'ils rêvent. Le corps servant de prison physique, mais de refuge, en même temps. La personne sujette au vieillissement, impuissante. Le rêve est imagé comme état salutaire, une fois de plus, puisque plus permissif. Le réveil dans un monde froid et imparfait souligne la préférence pour la sphère plus abstraite.

                L'expression du physique comme étant inutile ou limitatif, sous des images de racines en hiver, de porcelaines décoratives, de poème écrit pour ne pas être lu. L'univers physique est décrit comme n'étant pas optimal. L'épanouissement est momentanément rendu impossible pour une saison. Le poème n'exécute pleinement sa fonction que si l'intention de l'auteur était simplement l'expression personnelle et non l'atteinte d'un auditoire.

                « L'envie de nous transcender » démontre la persistance d'une personne qui continue d'écrire des poèmes destinés à ne pas être lu à satisfaction. La constatation que la jeunesse est passée, quant à elle, souligne les traces d'une vie qui s'efface au fil du temps. Il serait ici question d'un acharnement de l'auteur à tenter d'échapper au monde réel qui s'estompe de plus en plus. La « mort dont on a achevé la lettre » est le sort qui en est jeté et une personne résignée à accepter un destin qui lui revient. La torche est passée en la demande d'être immolé mais de préserver les enfants. L'héritage légué au crépuscule, comme dernière volonté. Le « balai maladroit passé sur la rencontre d'un soir » n'efface pas le souvenir d'un événement entièrement.

                Alors que Mauvais Sang laisse entendre que l'auteur s'évaderait à tout prix, Endormir les Enfants dirige vers une prise de conscience du fardeau physique, un genou par terre, une révérence. Les deux titres se succédant tracent donc une trajectoire.

 

« Nos nuits comme des trains voyageurs / égarés silencieux à bout de souffle / immobiles entre marée basse et étoiles filantes / chaque geste un déraillement à demi prévu / puis nos corps... enflammés délirants / une constellation de chair et de papier peint /

 

J'ai voulu hurler à n'en plus tenir debout

J'ai tout donné

Je vous pardonne. »

 

                Les limites physiques font aussi apparition dans l'autre citation au bas du Bandcamp, en l'essoufflement de trains voyageurs et l'immobilité entre ciel et mer. Le train ne complétant pas son voyage est un potentiel non-accompli. La vie est présenté comme un bouleversement lorsqu'un geste entraîne une conséquence qui n'avait pas été complètement anticipée. Les « corps enflammés », aussi représentation du Vivant, associés au délire, montrent une transformation à résultat plus ou moins aléatoire. Ces idées combinées font du domaine terrestre un endroit rempli d'essais et d'échecs. Une imprévisibilité rendant la recherche de sens difficile. L'auteur confesse avoir tout tenté et ne pas tenir rigueur à quiconque.

                Malgré la Nuit attire l'attention sur ces moments de nos vies dont nous ne conservons généralement qu'un souvenir vague ou un arrière-goût. Des agissements de nos subconscients dictés par des envies secrètes ou des peurs non-avouées. Des expressions personnelles qui ne sont pas sujettes aux filtres sociaux. En ce sens, le rêve n'est-il pas plus vrai que la réalité ? Si le physique est limité par le temps et les circonstances, le plein potentiel ne peut-il être atteint qu'en rêve ? L'exercice d'analyse des paroles ainsi que les multiples écoutes m'aura permis l'échappement au réel visé par l'auteur. L'objectif doit être accomplit.

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