Au Bout de Mes Lèvres - Malgré la Nuit
Parution : 26-04-2021
Provenance : Quebec City
Gabrielle - Bass, vocals
Olivier - Guitars, vocals
Gabriel - Drums, vocals, lyrics,
production
Larry Records (USA & LE)
BLAST Records (Canada)
Mauvais Sang
I.
C'est si beau ta
façon de revenir
Du passé je me
penche sur toi
À l'hôpital une
caravane et un berceau
De si beaux
naufrages
Pour toi j'ai
pris des milliers de trains de nuit, fixé aux rails d'une vie en feu.
À l'aube, un
monde de ruelles enneigées, le givre de nos racines ankylosées.
C'est déchirant,
j'ai pensé à toi :
« - Nous sommes
des reliques délaissées.
- Il y a
longtemps que je me suis perdu. »
Fais sonner
l'horloge tandis qu'il y a encore un enfant en moi
[des minutes, des
heures, des années]
Je n'en peux plus
de cultiver l'insomnie
Vivre de nuit
doit être un rêve
J'aimerais
pouvoir m'enfuir pour l'éternité dans un autre corps,
mais je n'ai
qu'un seul tombeau.
À première écoute, le thème de la naissance est la
première image à m'être venue à l'esprit. « À l'hôpital une caravane et un
berceau » évoquant le moment après la naissance où la famille et les proches
viennent voir le nouveau-né. Ensuite, les « milliers de trains de nuits, fixé
aux rails d'une vie en feu », la culture de l'insomnie, ainsi que le désir de
pouvoir vivre la nuit seraient un enfant qui ne fait pas ses nuits et quelqu'un
faisant le sacrifice de sa vie (de son sommeil et de l'état qui résulte de sa
carence) pour prendre soin de celui-ci. Sous
le poids de la responsabilité, le parent tourmenté par l'idée que sa vie serait
toute autre si ça n'avait été de cette naissance, demandant à être sorti de
cette situation, demandant à ce qu'on sonne « l'horloge tandis qu'il y a encore
un enfant en [lui/elle] » ou la formulation du souhait de s' « enfuir pour l'éternité
dans un autre corps ».
Par contre, une description accompagne les deux
chanson sur le Bandcamp : « Malgré la Nuit est en quelque sorte la boîte noire,
la dernière mémoire - aveugle peut-être - de ces conjonctures nocturnes
desquelles l'on ne revient jamais entièrement; je crois que certaines nuits
sont en elles-mêmes toute une vie, une sorte de passage obligé, comme le sont
les rêves. » Sous cette optique, les « milliers de trains de nuit, fixé aux
rails d'une vie en feu » deviendraient donc des voyages sous forme de rêves
plutôt qu'une routine nocturne infernale. Les matins décrits comme étant « un
monde de ruelles enneigées » - le réveil, et le « givres de nos racines ankylosées
» - la fatigue du voyage. Les rêves étant forcés sur nous, nous laissant comme
des « reliques délaissées », perplexes. Le passage de l'état de rêve vers le
concret du monde réel s'effectue sous la forme d'un choc. À son réveil, la
victime prends conscience d'un monde froid et tente de réconcilier les plus
récents événements malgré les natures incompatibles des univers opposés. L'horloge
à faire sonner appuie aussi les notions de nuits et de rêves, de façon plus
évidente. Par contre, la phrase semble en contradiction avec la direction
générale, si l'on pense qu'un réveil tend plus à tirer quelqu'un d'un rêve que
de l'y pousser. Ne plus vouloir cultiver l'insomnie, vouloir vivre de nuit (pas
nécessairement éveillé), la possibilité de s'enfuir dans un autre corps, sont
toutes des idées indiquant que le rêve est vu comme étant salutaire. Demander à
se faire réveiller reviendrait à se priver d'un tel état.
De plus, l'auteur s'adresse également à quelqu'un ou
quelque chose, lorsque celui-ci dit : « je me penche sur toi », « Pour toi j'ai
pris des milliers de trains de nuit » et « j'ai pensé à toi ». Ma première
impression est que l'auteur s'adresse au Rêve, directement, puisqu'il
partagerait les « racine ankylosées » avec celui-ci. Il serait donc question du
vague souvenir d'un rêve. Si l'auteur s'adressait à un compagnon de voyage,
cela sous-entendrait que quelqu'un rêve avec lui. La présence du Rêve comme
destinataire de ces paroles est donc aussi supporté, sous cette forme.
La teneur du propos de l'auteur jette sur le Rêve une
connotation positive alors que ce dernier est accueilli à bras ouverts lorsqu'il
est dit « C'est si beau ta façon de revenir ». Il semble que le moment soit
attendu de pied ferme, malgré les cicatrices laissées à chaque réveil. « De si
beaux naufrages », des racines ankylosées, un souvenir déchirant, des «
reliques délaissées », ne plus vouloir cultiver l'insomnie et le désir de fuir
sont autant d'images qui contribuent à une impression positive du thème. La
phrase « vivre de nuit doit être un rêve » est possiblement la plus directe
allant en ce sens, faisant référence directement au concept.
Endormir les Enfants
II.
L'arbre s'ouvre
tout en haut, muet dans la tempête des
imperfections
enneigées du matin. Rien à dire devant nos
cadavres et
pourtant, au milieu de la nuit, l'envie de nous
transcender :
« - Voici le
corps, notre cage-refuge.
- Mais nous ne
sommes plus des enfants. »
Les racines
existent comme inutiles alors que les feuilles se
suicident au
creux des porcelaines cerclées d'étain. Rien à dire
devant
l'enveloppe de la mort dont on a achevé la lettre. Je
t'écris en poème,
mais je ne te lirai jamais assez :
« - Laisses-moi
dans notre ventre noir.
- Brûles-moi et
endors les enfants. »
[...]
Un balai
maladroit passé sur la rencontre d'un soir, les fleurs
coupées sous le
lit comme dernière inquiétude.
Cette fois-ci, ce qui me saute aux yeux est l'opposition
du physique au rêve. La croissance de l'arbre interrompue, ralentie, en hiver.
Les corps immobiles, tels des cadavres, pendant qu'ils rêvent. Le corps servant
de prison physique, mais de refuge, en même temps. La personne sujette au
vieillissement, impuissante. Le rêve est imagé comme état salutaire, une fois
de plus, puisque plus permissif. Le réveil dans un monde froid et imparfait
souligne la préférence pour la sphère plus abstraite.
L'expression du physique comme étant inutile ou
limitatif, sous des images de racines en hiver, de porcelaines décoratives, de
poème écrit pour ne pas être lu. L'univers physique est décrit comme n'étant
pas optimal. L'épanouissement est momentanément rendu impossible pour une
saison. Le poème n'exécute pleinement sa fonction que si l'intention de
l'auteur était simplement l'expression personnelle et non l'atteinte d'un
auditoire.
« L'envie de nous transcender » démontre la
persistance d'une personne qui continue d'écrire des poèmes destinés à ne pas
être lu à satisfaction. La constatation que la jeunesse est passée, quant à
elle, souligne les traces d'une vie qui s'efface au fil du temps. Il serait ici
question d'un acharnement de l'auteur à tenter d'échapper au monde réel qui
s'estompe de plus en plus. La « mort dont on a achevé la lettre » est le sort
qui en est jeté et une personne résignée à accepter un destin qui lui revient. La
torche est passée en la demande d'être immolé mais de préserver les enfants. L'héritage
légué au crépuscule, comme dernière volonté. Le « balai maladroit passé sur la
rencontre d'un soir » n'efface pas le souvenir d'un événement entièrement.
Alors que Mauvais Sang laisse entendre que l'auteur
s'évaderait à tout prix, Endormir les Enfants dirige vers une prise de
conscience du fardeau physique, un genou par terre, une révérence. Les deux
titres se succédant tracent donc une trajectoire.
« Nos nuits comme
des trains voyageurs / égarés silencieux à bout de souffle / immobiles entre
marée basse et étoiles filantes / chaque geste un déraillement à demi prévu /
puis nos corps... enflammés délirants / une constellation de chair et de papier
peint /
J'ai voulu hurler
à n'en plus tenir debout
J'ai tout donné
Je vous pardonne.
»
Les limites physiques font aussi apparition dans l'autre
citation au bas du Bandcamp, en l'essoufflement de trains voyageurs et
l'immobilité entre ciel et mer. Le train ne complétant pas son voyage est un
potentiel non-accompli. La vie est présenté comme un bouleversement lorsqu'un
geste entraîne une conséquence qui n'avait pas été complètement anticipée. Les
« corps enflammés », aussi représentation du Vivant, associés au délire,
montrent une transformation à résultat plus ou moins aléatoire. Ces idées
combinées font du domaine terrestre un endroit rempli d'essais et d'échecs. Une
imprévisibilité rendant la recherche de sens difficile. L'auteur confesse avoir
tout tenté et ne pas tenir rigueur à quiconque.
Malgré la Nuit attire l'attention sur ces moments de
nos vies dont nous ne conservons généralement qu'un souvenir vague ou un
arrière-goût. Des agissements de nos subconscients dictés par des envies
secrètes ou des peurs non-avouées. Des expressions personnelles qui ne sont pas
sujettes aux filtres sociaux. En ce sens, le rêve n'est-il pas plus vrai que la
réalité ? Si le physique est limité par le temps et les circonstances, le plein
potentiel ne peut-il être atteint qu'en rêve ? L'exercice d'analyse des paroles
ainsi que les multiples écoutes m'aura permis l'échappement au réel visé par
l'auteur. L'objectif doit être accomplit.